De passage à la librairie Garin pour vivre
davantage, j'ai été choisi par un livre :
Les derniers jours de Mandelstam,
développés au fil du vertige par
Ossip est mort, ses camarades déportés
continuent à lever son bras pour profiter
de sa ration ; au bout de ce bras, une main
qui a écrit en 1933 ce que le tyran n'arrête pas :
Nous vivons, insensibles au pays qui nous porte.
A dix pas, nos voix ne sont plus assez fortes.
Mais il suffit d'un semi-entretien,
Pour évoquer le montagnard du Kremlin.
Ses doigts épais sont gras comme des asticots,
Et ses mots tombent comme des poids de cent kilos.
Il rit dans sa moustache énorme de cafard,
Et ses bottes luisent, accrochant le regard.
Un ramassis de chefs au cou mince l'entoure,
Sous-hommes empressés dont il joue nuit et jour.
L'un siffle, l'autre miaule, et un troisième geint,
Lui seul tient le crachoir et montre le chemin.
Il forge oukaze sur oukaze, en vrai forgeron,
Atteignant tel à l'aine, tel à l'oeil, tel au front.
Et chaque exécution est un régal,
Dont se pourlèche l'Ossète au large poitrail.